loupRetour sur un mouvement

Dans la foulée des événements de cet automne, il est apparu nécessaire à un certain nombre d’entre nous de produire un bilan du Printemps. Le moment nous semblait alors bien choisi afin d’en tirer des leçons pour l’avenir.

À l’automne 2014, de nombreuses personnes désiraient s’organiser face à la catastrophe en cours. C’est d’abord dans quelques assemblées étudiantes montréalaises que l’initiative Printemps 2015 (P15) s’élabore. Divers comités de mobilisation intersyndicaux, des comités de travail et des rencontres publiques ont été mis en place et se sont montrés populeux. L’ASSÉ se positionne en faveur de la création de comités P15, malgré l’absence de soutien qui suivra. Les positions de principe du mouvement Printemps 2015, une opposition franche aux mesures d’austérité ainsi qu’à l’extraction et le transport d’hydrocarbures, circuleront largement et rapidement à travers le Québec.

L’objectif était d’initier une grève qui se tiendrait du 23 mars au 3 avril et qui pourrait, à terme, être reconduite. La plupart des cégeps n’ont cependant tenu des votes qu’à propos de la journée du 2 avril, journée de manifestation nationale de l’ASSÉ. Les universités des grands centres, le cégep du Vieux-Montréal et celui de Saint-Laurent, quant à eux, s’enthousiasment et embarquent dans le mouvement. Cette grève d’envergure – 60 000 étudiant-e-s en grève pendant au moins deux semaines – s’appuyait pourtant sur sur des intérêts non-corporatistes, conjoncture  qui n’avait pas été observée depuis 40 ans.

Cette grève, qui se voulait offensive, a pourtant dû se retrancher dans une position de réaction face à la répression. L’administration de l’UQAM, tout comme la police, ont tenté d’isoler, par la force légale ou par celle des armes, des militant-e-s qui se montraient combatifs comme rarement depuis 2012. La manifestation du 2 avril rassemble plusieurs dizaines de milliers de personnes. Pourtant, le 31 mars, l’exécutif de l’ASSÉ appelait à la fin de la grève. Le désaccord par rapport à cette position a mené l’exécutif à la démission couplée à une destitution décidée par le Congrès. Une thèse répandue par certain-e-s veut que P15 ait structuré, du haut de son « comité central », la destitution de cet exécutif. Ce sont pourtant les délégué-e-s qui, choqué-e-s par l’absence de collaboration que l’exécutif a exprimé à l’égard du mouvement de grève malgré les mandats qui lui avaient été confiés, ont pris acte du bris de confiance.

Néanmoins, la fin de la grève n’était pas loin. Dans la semaine suivante, le mouvement s’est cristallisé autour de l’UQAM et de la répression qui s’y déroulait. Les cégeps, quant à eux, lancent le mouvement Occup’toute qui a proliféré partout à une vitesse étonnante. Le 1er mai marque le paroxysme du mouvement alors qu’une journée de grève sociale a lieu. Des dizaines de syndicats d’enseignant.e.s de cégeps votent pour un débrayage illégal malgré l’opposition des centrales syndicales. Des centaines d’actions prennent place partout au Québec, de multiples manifestations déambulent dans les rues de la métropole.

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Printemps 2015: une tentative

Nous avons tenté de rassembler immédiatement les forces que nous pensions prêtes à agir, afin de tester les possibilités de lutte commune. L’idée fondamentale se déclinait dès lors en deux stratégies simples. Premièrement, créer des espaces de rencontres politiques entre les différents milieux afin d’engendrer des ponts solidaires, concevant la grève comme génératrice de liens, d’idées et de commun. Deuxièmement, il semblait nécessaire de perturber l’ordre établi, d’effectuer une scission assumée avec la paix sociale pour mettre en lumière les horreurs de la crise que le capitalisme nous fait subir. C’est en désirant réactiver les brèches ouvertes par 2012 (APAQ, actions autonomes, groupes artistiques, etc), renouer des solidarités qui s’y sont créées et en former des nouvelles, que Printemps 2015 a appelé à une grève innovatrice.

L’offensive est lancée sur des bases autonomes. Nous cherchions à créer une grève qui serait vivante à l’instar du foisonnement d’initiatives autonomes et diversifiées ayant marqué la fin de la grève de 2012. Les comités printemps 2015 s’apparentaient donc à des comités de mobilisation autonomes: posant des bases discursives et stratégiques pour ensuite les voir déborder vers des allié.e.s potentiel.le.s et vers les structures traditionnelles. Cette dynamique permettait une sortie de la dichotomie habituelle selon laquelle les exécutifs pensent la stratégie et les membres l’appliquent. Celles et ceux qui se sont senti.e.s interpellé.e.s par les événements du printemps 2015 fondaient la légitimité de leur action non pas sur des structures syndicales en place, mais plutôt sur une conception partagée de l’urgence d’agir. S’il y a eu organisation hors des associations étudiantes, ce n’était pas pour les saborder, mais plutôt dans l’espoir de leur insuffler une combativité renouvelée. L’objectif de P15 n’en était donc pas un de représentation, mais plutôt d’organisation.

Si nous avons formulé une opposition en bloc aux projets d’austérité et d’hydrocarbures et que nous nous sommes refusé.e.s à établir des revendications plus précises, c’est qu’il nous semblait nécessaire de bâtir un mouvement de résistance au capitalisme et non pas simplement à tel ou tel aménagement de ses catastrophes. Face à l’indécence et à l’ampleur des attaques, nous croyons qu’il n’y a plus de place pour une solution négociée du conflit. En ce sens, lorsque nous nous battons, ce n’est pas pour nous asseoir à une table de négociation, mais bien pour construire notre puissance commune et mettre sur la table nos enjeux et nos discours.

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Esquisse sur des erreurs à ne pas répéter

Nous invitions les militant-e-s à se saisir de la conjoncture et des structures mises en place par P15 afin de construire un mouvement large. P15 a voulu alimenter les luttes autonomes au Québec. La forme qu’a pris l’organisation du printemps 2015 a été la conséquence d’une série de tâtonnements. Les comités locaux, thématiques, de travail, les assemblées populaires et les réunions se sont succédés tout au long de l’automne sans aboutir à une formule aussi efficace et productive que certain.e.s l’espéraient. En effet, nous avons échoué à inclure dans le processus décisionnel et productif les nombreuses personnes qui se sont présentées à ces réunions et qui ont toutefois rendu le Printemps possible en en diffusant l’idée. Face à l’imminence du printemps, nous nous sommes replié.e.s sur des tactiques et procédés plus affinitaires. Ces réunions se sont avérées plus efficaces, mais se sont révélées limiter le mouvement en ne laissant pas l’espace nécessaire à tant de gens interessé-e-s à travailler à la poursuite du mouvement.

Notons que si la participation à ces instances est restée majoritairement étudiante cela s’explique par le fait que la base organisationnelle du Printemps n’était tout simplement pas assez enracinée hors du milieu étudiant pour atteindre son objectif à si court terme et nous ne pouvons qu’accuser le coup pour avoir cru pouvoir organiser une grève sociale sur des bases étudiantes.

Les graines du printemps:

La lutte du printemps, comme toute les luttes, a emmené son lot d’expériences et a inspiré de nouvelles tactiques, de nouvelles pratiques et de nouveaux projets qui, nous l’espérons, feront leur bout de chemin.

Nous avons été collectivement capables de battre le pavé fréquemment pour la première fois depuis 2012. Cela nous a valu une répression particulièrement brutale qui n’avait fait que s’intensifier et se perfectionner depuis la dernière grève. Si nous avons été capables de mener la lutte pour la rue c’est par l’organisation active des militant-e-s, qui, avec la grève, avait trouvé un terrain fertile pour mettre en application leurs expériences. Alors que les manifestations ne sont plus une simple suite de souricières, nous avons démontré que le combat n’est jamais perdu d’avance, il est simplement toujours à faire.

Le Printemps et le 1er mai ont redynamisé des projets comme Profs contre la hausse, mais ont également favorisé de multiples initiatives porteuses de sens. On pensera d’abord le  mouvement spontané Occuptoute qui a essaimé à travers plusieurs cégeps, a mené à la réappropriation des espaces communs de ces institutions d’enseignement tout en contribuant à diffuser le discours contre l’austérité et les hydrocarbures. Il a permis de développer les pratiques d’auto-organisation dans de nombreux groupes militants. Le même constat s’opère pour l’Appel de l’est où plus de 200 personnes sont venu-e-s échanger sur les stratégies et les approches à adopter face aux hydrocarbures. Un constat majeur s’y est imposé: la volonté de combattre en commun un système qui nous accole au pied du mur, et ce, dès maintenant.

Nous avons vu également les bourgeons tardifs du printemps éclore alors que des groupes de parents et d’enfants forment des chaînes humaines autour des écoles primaires pour les protéger symboliquement. Plus largement, la logique des luttes corporatistes a été minée. On le remarque dans la multiplication des appels à la création de comité de mobilisation, des grèves inter-syndicales unissant salarié-e-s et étudiant-e-s dans nos institutions publiques. Aussi et surtout par l’importance d’un discours anti-austérité à l’approche systémique et d’appels à la grève sociale dans une période qui aurait pu être dominée par les revendications salariales des centrales syndicales. Ces nouveaux réflexes de solidarité se manifestent par la multiplication de mandats de grève d’appuis et dans les projets de grève générale en cas de loi spéciale ou de décret fixant les conditions de travail dans la fonction publique.

Les débuts d’une lutte prolongée:

Au-delà du bilan particulier de cette grève, P15 a déployé des tactiques qui ont permis d’explorer un mode d’organisation cherchant à dépasser les structures formelles et à créer des momentums de lutte auxquels peuvent s’intégrer les initiatives autonomes. Le pari était immense et le demeura dans les prochaines années. Il y a fort à parier que l’austérité et les enjeux pétroliers représenteront les principaux champs de luttes à venir. Que des groupes se saisiront de ces enjeux, que les grèves, les campagnes et les occupations se succéderont et gagneront en intensité. N’ayons pas peur de nous organiser sur nos propres bases, à la hauteur de nos milieux et de nos moyens. Seule sa pratique nous permettra de construire notre projet révolutionnaire.

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