Bilan du Comité Printemps 2015 Québec

Le printemps à l’Université Laval : sur une résistance et ses limites

Il n’y a pas lieu de craindre ou d’espérer, mais de chercher de nouvelles armes.[1]

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Les premiers échos de ce qui allait devenir le Printemps 2015 ont résonné à l’Université Laval au début de l’automne 2014, alors que les textes et affiches à son propos commençaient à circuler dans le milieu étudiant et sur les réseaux sociaux. Par l’entremise d’assemblées générales ouvertes à tous et à toutes, le Comité Printemps 2015 Québec s’est proposé de réunir les militant-e-s autour d’un objectif commun – soit la grève au printemps – fédérant ainsi les forces contestatrices de la Capitale tout en facilitant l’organisation de la grève et des actions de perturbation à venir. Ce comité s’est effacé à la fin-mars au profit des Conseils Stratégiques de Grève, soit des instances de coordination se penchant sur les problèmes tactiques à court terme – comment organiser les piquetages, quelles actions mener cette semaine, etc. – plutôt que sur les orientations générales ou les horizons stratégiques du mouvement. À la lumière des objectifs que nous nous étions fixé-e-s localement – entamer une campagne de grève nous permettant de libérer du temps pour sensibiliser la communauté étudiante aux effets de l’austérité et à la nécessité de s’y opposer, mener un ensemble d’actions allant des manifs aux occupations en passant par les ateliers et les séances de tractage – nous pouvons avancer que le Printemps 2015 a été à l’UL une réussite relative, ce qui n’exclut évidemment pas de réfléchir aux nombreuses limites auxquelles nous nous sommes heurté-e-s.

Il faut d’abord préciser que l’UL a fait l’expérience, lors de ce printemps, d’un profond décalage avec la mobilisation montréalaise. Nous entendons par là que, si l’opposition aux mesures d’austérité et à l’exploitation des hydrocarbures demeurait notre plateforme commune, les enjeux de terrain ont rapidement divergé – notamment avec les menaces d’expulsion politique à l’UQAM – et les tensions ont été beaucoup moins vives à l’intérieur du mouvement à Québec. Le milieu militant ulavalois étant assez restreint, la nécessité de rester soudé-e-s et d’insister davantage sur les points partagés que sur les lignes de division s’est rapidement imposée pour assurer à nos actions un certain impact. Il faut également ajouter que les militant-e-s de l’UL sont généralement uni-e-s par des liens d’amitié forts, qui permettent de faire fi des désaccords politiques – anarchiste, communiste, solidaire, etc. – dans l’élaboration de nos plans d’action. Finalement, l’établissement d’une zone de grève –  soit un espace commun pour se reposer, se concerter et régler les éventuels conflits entre militant-e-s – dans le pavillon Charles-de-Koninck durant les trois semaines de débrayage a grandement contribué au maintien d’une certaine unité, bien que la zone ait comporté son lot de problèmes, comme nous le verrons plus loin.

Un autre élément majeur, que nous partageons cette fois pleinement avec Montréal, fut une expérience prolongée de la répression tant policière qu’administrative – bien que cette dernière fut moins importante à l’UL qu’à l’UQAM. On sait par exemple que la Fondation 1625, particulièrement active dans la région de Québec, a menacé dès l’adoption des premiers mandats de grève de mener une lutte soutenue contre la tenue des piquetages – allant même jusqu’à déposer une requête en mandamus exigeant que tous les cours soient donnés, en dépit des mandats de grève dûment obtenus (la requête a heureusement été battue). À cette offensive anti-débrayage se sont ajoutés de nombreux cas d’abus policier – notamment les 274 arrestations lors de la manifestation de nuit du 24 mars et le tir d’un projectile en plein visage d’une manifestante survenu le 26 mars, lors d’une action organisée par l’ASSÉ. Finalement, une forme de répression concernant plus particulièrement la Capitale fut celle imposée par les radio-poubelles, qui discréditaient violemment en ondes nos différentes initiatives et ont même envoyé des animateurs à la zone de grève ou sur les lignes de piquetage pour provoquer les militant-e-s.

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Si ces violences ont uni le mouvement et radicalisé nombre de militant-e-s, d’autres formes de domination plus insidieuses ont en revanche nui à la cohésion des forces contestatrices. De nombreux rapports sexistes ont effectivement traversé l’expérience quotidienne des militant-e-s, notamment dans la zone de grève – les hommes parlant encore une fois plus souvent, plus longtemps et plus fort que les femmes, imposant ainsi leurs perspectives et leurs points de vue dans les assemblées et les discussions. Ces dynamiques, auxquelles se sont ajoutées bien d’autres – le mansplanning, le harcèlement, etc. – ont certainement constitué un obstacle au caractère sécuritaire et inclusif du mouvement.

À cette critique interne doit s’ajouter une réflexion sur les limites générales de cette campagne de mobilisation. Nous en identifions ici trois :

  1. Nous devons d’abord mentionner les difficultés propres à une campagne de grève offensive avec des revendications ouvertes : si cette approche a permis de rejoindre un grand nombre de personnes et de s’opposer à l’austérité au-delà des strictes considérations corporatistes, elle a cependant limité à certains égards la capacité de cette campagne à perdurer – avec des objectifs trop vagues et une stagnation du nombre d’étudiant-e-s en grève générale illimitée à partir de la troisième semaine, le mouvement a rapidement semblé sans issues.
  2. Le mouvement a également été limité par sa difficulté à dépasser sa base universitaire et à rejoindre le réseau collégial. À cet égard, il nous faut souligner que de nombreux obstacles ont limité l’établissement de liens forts et d’une collaboration soutenue entre l’UL et les cégeps de la région de Québec – notamment la tenue de presque toutes les réunions du Comité Pritemps 2015 Québec à l’UL et le paternalisme dont ont pu faire preuve certain-e-s militant-e-s universitaires à l’endroit des enjeux collégiaux – et que ces mêmes obstacles devront être pris en compte dans nos campagnes de mobilisation à venir.
  3. Finalement, nous pouvons avancer que le mouvement a sans doute trop misé sur l’idée d’une grève sociale imminente unissant la communauté étudiante et les syndicats. Si un certain nombre d’entre eux ont effectivement répondu à l’appel lors du 1er mai, nous devons cependant reconnaître que les possibilités d’un débrayage massif au tout début des négociations avec le gouvernement sur les conventions collectives du secteur public ont été largement surestimées.

Nous avons mentionné plus haut que le Printemps 2015 a été à l’UL une réussite relative – s’il n’a pas mené à un recul net du gouvernement Couillard dans l’adoption de ses mesures d’austérité, il a cependant permis d’élargir la base militante de l’Université et de renforcer les liens à l’intérieur de cette même base, tout en affermissant les alliances entre la communauté étudiante et les groupes communautaires par l’entremise d’actions communes. La mobilisation printanière a donc constitué un espace de socialisation militante dont les effets bénéfiques se font encore sentir aujourd’hui – ce résultat ayant été obtenu en partie grâce à l’interruption de la grève après trois semaines, qui a permis au mouvement de ménager ses forces et d’éviter une débâcle ou un déchirement interne majeur. Ces trois semaines de débrayage peuvent être considérées, dans le contexte ulavalois, comme un succès pour une campagne de grève annoncée sept mois à l’avance.

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Il nous semble en définitive que cette révolte printanière a souffert de son absence d’inscription claire dans un horizon stratégique à long terme – une telle inscription a été tentée à Québec avec la publication de la lettre «Ce qu’on sème au printemps se récolte à l’automne : portrait d’une dissidence», bien que l’automne ne se soit pas avéré à la hauteur de nos attentes. Si nous sommes bien conscient-e-s de l’urgence d’agir et si nous reconnaissons l’ampleur de la catastrophe capitaliste, il nous apparaît cependant que le mouvement aurait gagné à penser davantage ce qui devait succéder à cette campagne de grève – la force d’une révolte se mesurant bien, en dernière instance, à sa capacité à fédérer les forces et à assurer leur dynamisme dans la durée. Ce dynamisme est d’autant plus important à (re)penser que nous constatons depuis quelques mois une remise en cause, par un nombre croissant d’étudiant-e-s à l’UL, de la place des associations comme contre-pouvoir et de la grève comme moyen de pression – sans compter la baisse de l’appui professoral à nos actions, qui rend la reprise des cours très tendue. Il faut également souligner que les méthodes à la disposition des professeur-e-s pour contourner les piquetages et priver ainsi la grève de son impact – du changement de local à la reprise forcée des cours en passant par leur mise en ligne en cas de débrayage – se sont considérablement affinées. En somme, l’environnement même où se déroulent nos luttes a considérablement changé, et notre stratégie doit évoluer en conséquence.

Il ne s’agit pas ici d’attribuer les limites du Printemps 2015 à un groupe ou à des individus en particulier, mais plutôt de constater un épuisement du militantisme étudiant face auquel plusieurs interrogations s’imposent : comment mobiliser et construire des solidarités au-delà des campagnes de grève nationales, comment permettre aux initiatives militantes de persévérer et aux groupes contestataires de gagner en confiance, comment s’opposer de manière ferme et soutenue à la destruction de nos milieux de vie – autant de questions qui nous occuperont dans les années à venir et qui exigeront des formes, anciennes et nouvelles, de résistance et de coopération.

[1] DELEUZE, Gilles. Pourparlers. 1972-1990, Éditions de Minuit, Paris, 2009, p. 242.